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Автор Фред Варгас

FRED VARGAS

Coule la Seine (recueil de nouvelles)

AVERTISSEMENT DE L’ÉDITEUR

Les nouvelles qui composent Coule la Seine ont été écrites à des dates différentes et ont déjà paru dans les publications suivantes :

Salut et liberté, in  : journal Le Monde, 1997.

La Nuit des brutes, in  : Contes noirs de fin de siècle, éd. Fleuve noir, 1999.

Cinq francs pièce, in  : Des mots pour la vie, Le Secours populaire français, éd. Pocket, 2000.

Les illustrations de Baudoin sont inédites et ont été réalisées spécifiquement pour ce volume.

SALUT ET LIBERTÉ

Posté sur un banc public, face au commissariat du 5e arrondissement de Paris, le vieux Vasco crachait des noyaux d’olive. Cinq points s’il touchait le pied du réverbère. Il guettait l’apparition d’un grand flic blond au corps mou qui, chaque matin, sortait vers neuf heures et demie et déposait une pièce sur le banc, l’air maussade. En ce moment, le vieux, tailleur de profession, était vraiment fauché. Ainsi qu’il l’exposait à qui voulait, le siècle avait sonné le glas des virtuoses de l’aiguille. Le sur-mesure agonisait.

Le noyau passa à deux centimètres du pied métallique. Vasco soupira et avala quelques gorgées au goulot d’un litre de bière. Le mois de juillet était chaud et, dès neuf heures, il faisait soif, sans même parler des olives.

Depuis plus de trois semaines que le vieux Vasco était installé sur ce banc, matin après matin sauf le dimanche, il avait fini par repérer pas mal de têtes dans ce commissariat. C’était un bon divertissement, bien meilleur que prévu, et c’est fou comme ces gens-là remuaient. Pour quoi faire, on se le demande.

Toujours est-il que, du matin au soir, ils s’agitaient, chacun à leur façon. À l’exception du petit brun, le commissaire, qui se déplaçait toujours très lentement comme s’il était sous l’eau. Il sortait pour marcher plusieurs fois par jour. Le vieux Vasco lui disait trois mots et le regardait s’éloigner dans la rue, porté par un léger tangage, les mains enfoncées dans les poches d’un pantalon chiffonné. Ce type-là ne repassait pas ses vêtements.

Le grand flic blond descendit les marches du perron vers dix heures, un doigt pressé sur le front. Il avait traîné ce matin, soit qu’il eût mal au crâne, soit qu’une grosse affaire fût tombée sur le commissariat. Cela pouvait arriver, somme toute, à force de remuer comme ça. Vasco l’appela avec de grands signes en montrant sa cigarette éteinte. Mais le lieutenant Adrien Danglard n’avait pas l’air pressé de traverser pour lui donner du feu. Il regardait fixement, près du banc, un grand portemanteau en bois sur lequel était suspendu un veston crasseux.

— C’est ce truc qui te chiffonne, frère ? demanda le vieux Vasco en montrant le portemanteau.

— Qu’est-ce que c’est que cette merde que tu as installée dans la rue ? cria Danglard en traversant.

— Pour ta gouverne, cette merde s’appelle un valet, et ça sert à suspendre son costume sans le froisser. On t’a appris quoi, dans la police ? Tu vois, tu mets le pantalon sur cette barre et, ici, tu déposes délicatement la veste.